Récit de la course : Ultra Boucle des Ballons 2020, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Ultra Boucle des Ballons

Date : 11/7/2020

Lieu : Munster (Haut-Rhin)

Affichage : 817 vues

Distance : 204km

Objectif : Pas d'objectif

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La vie en Vosges

"Vous connaissez la meilleure façon de faire rire Dieu ? Il faut lui raconter nos projets !" s'amuse Daniel Pennac. Et c'est vrai qu'en apprenant mes projets pour 2020, Il a du bien s'amuser ! Même avant le corona virus, c'est le gastro-virus, puis un inattendu débordement de l'Eure, qui m'ont fait renoncer à mes projets de courses 2020... Jusqu'à ce que je découvre l'U2B, l'Ultra Boucle des Ballons, une aventure de 204 km et 4850 m D+, qui se maintient contre vents et marées pendant la période de confinement, les modalités d'organisation s'ajustant implacablement aux annonces gouvernementales. A cette époque, c'est le phare, la sortie du tunnel à laquelle je pense à chacune de mes sorties de moins d'1 heure dans un rayon de 1 km. Aujourd'hui, c'est une réalité, mais j'ai associé tellement de pensées positives à cette course que je n'éprouve bizarrement aucune crainte. Heureux de remettre un dossard, même minimaliste.

 

Vous avez déjà pris part à une course dont un Dieu, grec de surcroit, donne le départ ? Poséidon en personne, captivé par la vue du lac du parc de la Fecht de Munster, nous envoie par Monts et par Vaux à la rencontre de notre destin. Oui, je suis un peu grandiloquent, mais n'oubliez pas que je me lance pour un road trip de 204 km ! Et ca part fort ! Dès le 2ème km, nous attaquons le collet du Linge, près de 9 km  d'ascension à plus de 7%. Le premier des 16 cols qui nous seront proposés. Nous sommes nombreux à avoir des fourmis dans les jambes, ou à vouloir nous rassurer, et à courir dans cette montée. Je dois presque me forcer pour marcher de temps en temps. Premières discussions, aussi, avec Sylvain dont je fais la connaissance. La vue que nous découvrons sur la vallée de Munster nous récompense ces efforts, c'est simplement magnifique.  Nous passons devant un premier cimetière militaire qui nous rappelle qu'en 14-18, les Vosges n'étaient pas un terrain de jeu, loin de là ! Après quelques kilomètres de descente, nous arrivons rapidement au premier des 10 postes de ravitaillement (CP) qui rythmeront notre course tous les 20 km. Il est 7h29, je cours depuis 2h.



 

Le second tronçon est plus facile.  La route n'est pas plate mais largement courable. J'ai pris l'habitude maintenant du fléchage, discret mais impeccable, que je cherche sur chaque panneau. Je recroise régulièrement les mêmes coureurs, dont Guillaume R avec qui je vais rester longtemps. Passage devant le lac Noir puis le lac Blanc, avant d'emprunter la route des crêtes qui va nous conduire jusqu'au col de la Schlucht. C'est ici qu'il y a longtemps, mes parents nous emmenaient depuis Metz pour mes premières chutes en ski. Nostalgie. Je découvre juste après la source de la Meurthe, et bientôt le second CP, atteint après 4h07 de course, toujours en compagnie de Guillaume. Christophe, le GO, est là et nous sert en compagnie de ses parents. 

 

Le tronçon suivant nous fera beaucoup descendre, d'abord 3km, puis après une petite montée, sur une petite dizaine de kilomètres. Cette plongée sur la route des Américains est interminable. Je me lâche et j'adore ça ! J'ai trouvé réponse à mes différentes questions : le pourcentage des cotes ne m'effraie pas plus que cela, mais je pressens que leur longueur posera problème ; la navigation est facile, et des patrouilleurs en voiture nous rassurent régulièrement. Coté gestion de course, je cours sans GPS et c'est très bien ainsi. Vous l'avez compris en lisant ce récit, j'ai découpé le parcours en 10 segments de 20 kms, marquant les différents CP, et ne pense qu'au CP suivant. J'aimerais mettre une moyenne de 3h entre chaque CP, mais c'est un repère plus qu'un objectif. Toutes ces préoccupations à part, j'arrive près du village de Kruth -c'est chou, nous avait prévenu Christophe- quand je rencontre un premier imprévu : des travaux barrent notre route, et la déviation piétons, visiblement non prévue, nous envoie dans les bois. Après quelques hésitations, je m'engage dans ces bois et dois à une randonneuse de ne pas trop m'éloigner du parcours prévu. Au CP suivant, distant de 500m, je préviens les cantiniers qui se dépêchent de rebaliser. J'apprendrai plus tard que la route a été fermée à cause de travaux impliquant de l'amiante. Pour ma part, cela fait 6h que je cours, pour une soixantaine de km de parcourus.

 

Après un rapide ravitaillement -coca, saucisson et fraises Tagada constitueront l'essentiel de ma nourriture du jour- je repars vers le CP suivant. Cette fois, ça grimpe sur 10 km, avant de redescendre sur 10 km. Je suis rattrapé dans la montée par Guillaume et Eusebio, qui a perdu près de 45 min dans les bois devant Kruth. Il faut dire que je fais le choix de marcher dans les montés, et de courir dans les descentes. Je surprends Guillaume en lui annonçant qu'il est en photo dans le salon de mes parents : il y a quelques années, nous avions partagé le podium vétéran des 100 km de Metz, et mes parents ont pieusement gardé la photo de cet événement rare. Cela nous rapproche ! Je passe un coup de fil à mon épouse, qui emmène notre fille visiter la vallée des singes non loin de là, ça me fait plaisir de savoir qu'elles s'amusent. La voiture des accompagnateurs de David, un coureur belge, nous dépasse, ses parents nous encouragent et nous annoncent "le Spartathlon est annulé !". C'est bien une course d'ultra ! Bref tout va bien jusqu'à Bussang (source de la Moselle), même si je commence à ce moment à sentir un peu de fatigue sur la dernière piste cyclable qui nous emmène à Saint-Maurice sur Moselle pour le CP4, atteint à 14h21.

 

A la recherche de toilettes publiques, je me perds bêtement en quittant ce CP, ce qui m'agace un peu. Quand je retrouve le bon chemin, l'immense Corinne m'a dépassé sans que je puisse l'encourager (et sans que je me doute une seul instant du temps stratosphérique qu'elle mettra sur cette course, puisqu'elle me prendra plus de 6h sur les 120 km restants!), et Guillaume m'a rattrapé, puis dépassé dans la côte qui commence. Je vois une borne qui indique : "Ballon d'Alsace, sommet 9 km". La partie s'annonce compliquée ! C'est une partie que je n'apprécie pas, il faut le reconnaitre. La pente est longue et régulière, sans offrir de possibilité de relance, et l'endroit attire de nombreux motards qui prennent plaisir à faire vrombir leur bolide dans les lacets de la route que nous gravissons si lentement. Mais à force de patience, j'arrive en haut, où des surprises m'attendent. Tout d'abord, j'ai une discussion sympa avec David Antoine, photographe de l'épreuve, même s'il m'apprend qu'après ce Ballon, il y aura le Grand ballon puis le Petit ballon. Moi qui pensais que c'était ça, le grand ballon, qu'est-ce que ca va être ! Puis je trouve enfin les toilettes publiques que je cherchais il y a trois heures, en bas du col. Enfin, la route redescend jusqu'au CP5, qui marquera la mi-course, mais aussi mes retrouvailles avec mon épouse et ma fille. De quoi relancer avec plaisir. J'arrive au CP5 à 17h, au moment où Guillaume le quitte, et retrouve 500 m plus bas mes supportrices, qui me racontent avec plaisir leur journée alsacienne. Que du bonheur ! 

 

La section suivante est plus facile, elle descend doucement, avant de remonter vers le CP6. La routine s'est installée, je cours encore sur le plat et en descente, marche dès que ça monte. Tous les 7 km, je vide une gourde. Je fais un chassé-croisé avec David, que je distance sur le plat mais qui me reprend dès que la route s'élève. J'arrive, en marchant, au CP6, à 19h26. J'y ai laissé un sac, même si je me demande bien ce que je pourrais prendre dedans. Rien finalement, à part un Powerade. Guillaume B, cantinier impeccable, m'offre un café, et me donne rendez-vous au CP8, si j'y arrive avant 3h du matin. 7h30 pour faire un 4ème marathon en montant le grand ballon, le défi est lancé !

 

Nous commençons par le col d' Hunsdrück, dans lequel je fais la connaissance de Gérard. Quel personnage ! Il prolonge son incroyable carrière d'ultrafondeur en faisant ces courses... en trottinette. Ne croyez pas que c'est facile, la performance est remarquable, surtout deux semaines après les 1000 kilomètres de France ! Montée conviviale donc avant la descente, qu'il va aborder à 60 km/h. Mon rythme de course est plus modeste. Je rejoins néanmoins Karine, avec qui je vais courir jusqu'au village suivant, où son accompagnateur l'attend. Je profite de son arrêt pour prendre une petite avance. Je suis maintenant dans la vallée de la Thur. Des touristes, à la terrasse d'un café, me demandent s'il y a une course organisée. Ma réponse les laisse incrédules. Je suis rejoint par Karine, accompagnée de Claire, partie 1h après tout le monde pour cause de problème mécanique. J'en plaisante : "ah, tu as couru moins longtemps que nous, c'est pour ça que tu es toute pimpante !". Car, aux pieds des magnifiques coteaux, elle avance sacrément bien. Je suis d'abord ravi de profiter de son entrain pour me relancer et avancer à bon rythme. Quelle erreur ! Quelques kilomètres plus tard,  je n'arrive plus à suivre, et doit marcher jusqu'au CP suivant. Claire, elle, poursuivra à son rythme qui la conduira à une magnifique 3ème place. Ce sera l'une des particularités de cet ultra : un podium 100% féminin. L’autre particularité sera son taux invraisemblable de 83% de finishers.

 

CP7, 22h34. Nous sommes au pied du Grand Ballon, c'est le morceau de bravoure de cette ultra: après 140 km de course, nous affrontons 21 km d'ascension ! En mangeant la sublime soupe servie, je me dis qu'il me faudra bien 4 ou 5 heures vu mon état, pour arriver en haut, et qu'au sommet il sera presque temps d'éteindre la frontale que j'allume maintenant. Mais j'ai une botte secrète : je sors mon mp3, et demande à Monsieur Brassens de m'accompagner. Mon univers se limite maintenant au halo de ma frontale, mes pensées à la poésie de Brassens, mon corps n'existe plus. C'est le moment d'atemporalité, d'apesanteur que je cherchais depuis le départ.   

 

Le sommet du Grand Ballon est proche. Il n'y a plus d'arbres ici, le vent est glacial et mon coupe-vent à peine suffisant. Dans la vallée, les lumières de Mulhouse brillent. Les cloches de quelques vaches tintent parfois. Dans le ciel parfaitement étoilé, une forme inattendue semble m'indiquer la direction à suivre, à moi, modeste Roi Mage cherchant un Dieu de pierre : il s'agit de la comète Néowise. Spectacle incroyable, auquel on assiste tous les 6800 ans. Je ne l'aurais jamais imaginée si visible. J'arrive au CP8 à 2h32, Guillaume B est encore là, j'en profite pour récupérer une veste plus chaude dans sa voiture et me remets en route en tremblotant.

 

La route descend un peu, puis c'est une interminable portion, le long d'une barrière, qui s'offre à nous. J'ai peur de m'être trompé et sort de mon sac le road book. Pas de problème, je suis sur la bonne voie. Mickael, un coureur allemand, me rattrape au moment précis où les premières lueurs du jour éclaircissent l'horizon. C'est une belle heure pour courir, et je suis étonné de pouvoir encore trottiner de ma foulée toujours plus rasante. Le sentiment, telle la chèvre de Monsieur Seguin, d'avoir déjà gagné mon combat. Nouvelle descente, mes adducteurs couinent, des ampoules me font mal, il faut que je trouve la bonne façon de poser le pied. Il est 5h30, je cours depuis 24h. Je regarde le road book et réalise la portée de ma performance, à ma modeste échelle : alors que mon record sur 24h est de 186 km (avec tout le confort de la piste), j'en suis à 180 km après avoir escaladé plus de 4000 m de D+. Cela me booste. Encore 3 km, et j'arrive au CP9, le dernier avant l'arrivée. Il est 5h49.  

 

Il n'y a plus que le petit ballon à franchir, 10 km de montée, autant de descente. Je peux maintenant me fixer un objectif chronométrique symbolique : moins de 29h. Pour cela, ma dernière arme secrète : je mets en marche la fonction GPS de ma montre et mesure mon avancée à chaque km. J'arrive péniblement à tenir les 5 km/h dans la montée, tout va bien. Un chevreuil (le premier animal sauvage que je vois depuis le départ) traverse la route. Une nouvelle vue magique s'offre à nous, tandis que deux Montgolfière apparaissent dans le ciel paisible. Nous passons devant une ferme, et c'est le sommet. Avec mes adducteurs fusillés et mes ampoules survitaminées, le début de la descente n'est pas facile. Mais j'avance plus vite que dans la montée, c'est déjà ça. Je préviens ma femme que je compte arriver vers 10h, ou plutôt 9h45, qu'elle soit là à 9h30, on ne sait jamais. Je fais une pointe insensée à 10 km/h. M'arrête quand même prendre un ânon en photo. Repars, remarche, trottine, arrive dans la Vallée. Olivier me préviens : encore 2 km, c'est un coureur, je lui fais confiance. Je cours le long de la Fecht. Vois enfin, au bout d'une ligne droite, ma femme et ma fille qui me guettent.  J'essuie une larme. Ma fille m'accompagne pour la fin, prends soin de moi pour me faire traverser la rue, me présente à Poséidon. Il est 9h22. J'enjambe une pierre et vais saluer ce Dieu immobile, pour lui glisser à l'oreille : "tu es un sacré farceur !" 


 

8 commentaires

Commentaire de Ze Man posté le 17-07-2020 à 19:27:36

Magnifique effort et superbe performance ! Un trip de fêlé, c'est sûr - mais c'est beau. Bravo

Commentaire de marathon-Yann posté le 20-07-2020 à 14:18:57

Merci Man ! Le plus marrant c'est qu'il y a plein de types plus fêlés que moi sur ce genre de courses !

Commentaire de glmrenard posté le 17-07-2020 à 19:53:28

Mais quel compte-rendu, bravo pour la plume et pour la performance. J'ai été plus que ravi de pouvoir discuter avec toi Yann, vivement le prochain !!

Commentaire de marathon-Yann posté le 20-07-2020 à 14:19:47

Oui vivement le prochain. Encore bravo pour ta magnifique course !

Commentaire de DavidSMFC posté le 19-07-2020 à 18:29:30

Et un très beau top 10 au passage ! Bravo Yann, super course. J'ai découvert l'existence de cette épreuve par Nicolas et Eric qui y ont participé cette année... 204 kilomètres sur bitume, la récupération s'est faite sans problème !?

Commentaire de marathon-Yann posté le 20-07-2020 à 14:21:17

Merci David. Je ne sais pas si ca se dit usur kikourou, mais j'adore le bitume ! Et la récup a l'air de bien se passer, merci !

Commentaire de poucet posté le 29-07-2020 à 12:37:31

Merci pour ce beau récit. Et bravo !!! Pas trop compliqué sur le bitume avec la circulation généralement plutôt intense dans le secteur en période estivale ?

Commentaire de marathon-Yann posté le 29-07-2020 à 13:52:49

Merci ! La circulation ne m'a vraiment dérangé qu'au ballon d'Alsace, avec toutes ces motos qui venaient profiter "des petites routes qui tournent". Pour le reste, en raison du parcours ou de l'horaire, c'était bien plus cool.

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