Récit de la course : Andorra UT Vallnord / Ronda dels Cims 2015, par Thibaud GUEYFFIER

L'auteur : Thibaud GUEYFFIER

La course : Andorra UT Vallnord / Ronda dels Cims

Date : 26/6/2015

Lieu : Ordino (Andorre)

Affichage : 2018 vues

Distance : 171km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

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Le récit

 

Il est 7h horaire incroyablement normal et c'est parti pour une aventure qui ne l'est incroyablement pas! Le but toucher les 17 cimes du cirque de la principauté d'Andorre soit autant de montée qu'il faudrait pour gravir Le Mont blanc et L'objectif Everest et bien entendu autant pour en redescendre le tout en 174kn. L'ambiance est festive, décontracté: un groupe de percussionnistes endiablé, les go pros au bout des bâtons, les selfies, le drone impassible qui filme le tout On fait sauter un feu d'artifice sur la ligne et le cortège se met en branle. Une première ascension vivifiante de 1400m pour aller voir le Colloda Ferreloes à 2600m on est au frais dans un sous bois de résineux souple et tout le monde est détendu en ce début de journée annoncée très chaude. La collection de drapeaux sur les dossards est impressionnante France, Espagne, USA, Chine, Belgique, Italie,Angleterre, république Tchèque, Russie, Allemagne, Suisse... Une cacophonie de langues mais les plus beaux représentants en ont été incontestablement Javier et Miguel! Sans discontinuer ils ont je pense répéter une pièce de théâtre roulement, inflexions, rires tonitruants même pas essoufflé incroyable! Premier ravitaillement jambon cru fabuleux, fromage de pays, Pastèque fraiche que c'est bon! On teste nos armes dans la première descente, tout le mode est souple et affuté. L'altitude et la chaleur commencent leur travail de sape clairement il faut remplir les bidons dans les nombreux cours d'eau rencontrés pour atteindre le prochain chekpoint la réserve obligatoire étant insuffisante. Premier frottement sur le dessus du pied, petit strapp préventif, je laisse filer, j'ai tout mon temps. On enchaîne sur la montée-descente de 6 petites aiguilles entre 2200 et 2700m dont deux spectaculaires Portella Rialp et Clot Cavall. L'indice UV est au max, il fait plus de 24 degrés, l'altitude pour moi venant du bord de mer me coupe les jambes et je suis dans un état proche de la stupéfaction. Les ravitaillements passent de moins en moins bien, 6 litres d'eau engloutis et même pas une petite envie d'uriner. Je m'efforce de me réhydrater, de manger pâtes de fruits et d'amandes, mais L'écœurement monte et une barre se forme dans ma tête. Pla d'Estany, je me mets à l'ombre je dois récupérer et me forcer à n'alimenter avant la première grosse difficulté la mythique et technique ascension du pic Comapedrosa à près de 3000 m d'altitude. La pente est très raide et nous fait traverser dans un tetris 3d d'énorme bloc schisteux qui aurait mal tourné. Plus vires déprimantes nous donne l'impression d'arriver au bout alors qu'il n'en est rien. On passe un couloir en éboulis ou l'équilibre ne se fait que sur les pointes des bâtons. Le vent de nord ouest s'engouffre et décide de nous y glacer quelques instants. Petit passage en crête avec prises mains obligatoires et un bénévole mélomane t'accueille au son de sa cornemuse, la vue est incroyable on voit toute la suite dantesque du parcours, instant magique de fin d'après-midi. On descend dans les éboulis avec en contrebas des lacs anis et illuminés formés dans l'immense névé qui tapisse le fond. J'ai droit une leçon de descente de la part de la seconde féminine. Petite, déliée, animale, incroyablement leste, je ne voie que sa crinière blonde et souple, elle se joue de tout, surfe d'un traits les petit névés sans siller. Au bas de ses 600m de descente elle plonge sa crinière dans un lac glacé avant de disparaître, impressionnant... Le jour décline et les profils écrasés de la journée prennent du relief. Tout un circuit de crête. Les pentes herbeuses ondulent, je suis seul dans ce lieu magnifique et je suis heureux de courir derrière ces instants, plénitude absolue je ne vois au loin que deux guêtres vertes qui profitent du spectacle et qui se perdent dans le coucher de soleil. Je veux atteindre avant la nuit Botella (km60) et laisse euphorisé dans la descente. Bien entendu c'est stupide. 5 minutes après mon arrivée je suis pris de frissons, et d'une irrépressible envie de vomir. Je m'oblige sous ma couverture à avaler une barre salée trop sucrée jamais testé, grosse erreur mon écœurement est achevé et il me faudra des heures pour m'enlever ce goût de la bouche. Je suis gelé, je repars trop couvert puis j'ai des suées, je me découvre, j'essaie de suivre un concurrent, je suis incapable de le faire, il fait nuit noir, je vais vomir. Non je m'allonge en travers du chemin, ça va redescendre. Je reste prostré dix minutes incapable de bouger, quelques coureurs me contournent sans un mot. La solidarité en trail et parfois une légende. Je me relève et monte lentement vers le sommet Bony de la Pica , contrôle au sommet, feu de camp, ambiance catalunya, encouragements je suis un peu rasséréné et tente de me refaire dans les 1400 m de descente. Début très technique et aérien on descend sur des chaînes à flanc de parois je rejoins un coureur Nicolas très sympa, on commence à envoyer un trop même: chute lourde craquement sérieux dans mes précieux et indispensable bâtons carbones. En fait rien de cassé c'est un avertissement. La descente est interminable. Enfin la première base vie de Margineda à 2h du matin (km 73). Impossible de manger, je dors 45 min dans un stade lugubre, plombé par la lumière des néons en espérant faire tomber la nausée. Coup de fil à Carole pour le moral, après ma pause je me relève ça tourne de nouveau je prends trois cuillère de riz, un bouillon je suis vide. Comment je vais faire pour absorber encore 100km et des milliers de mètres d'ascension comme ça. Le mot " abandon" pour la toute première fois se détache sur mon horizon, voilà c'était peut-être la surenchère de trop, un signe de mon corps. La réalité physiologique s'impose, je dois tenter autre chose; je réveille le médecin de la base à moitié endormi sur sa chaise. Et là il prend la décision qui va tout changer: une injection intramusculaire de primpéran. Je pars titubant tout de même, je me lance dans la montée de Manya ma lampe faiblit, la recharge est mal chargée, je crois que cette nuit tout se passe mal. Petit faisceau de ma lampe de secours de 38 grammes pour avancer, je tombe de sommeil... Je suis rejoint par un américain Steven, texan super sympa, je suis sa lampe. Heureusement il fait des pauses, je m'affale dans l'herbe pour deux minutes de sommeil volé. Nicolas nous rejoint, je jours blanchit enfin Steven décroche décide de dormir, blessé aux orteils, il abandonnera peu de temps après. On papote tranquille avec Nicolas, plus de classement, plus de pression, plus de course, notre seul but juste finir avant les barrières horaires. On en profite pour discuter art, voyages, ça fait du bien et je ne vois pas passer les bosses qui nous amènent à la base de Coma bella. Et là, c'est le festin des pâtes, des tomates fraîches, des lentilles, de l'huile d'olive ça repasse doucement mais ça repasse! Nous repartons pour une montée de 1300m cap sur le Pic Nègre. La chaleur est accablante mais je m'asperge régulièrement aujourd'hui. Nicolas décroche, il n'arrive plus à plier ses jambes, il ralentit mais il a fait le Tor des Géants, la Diagonale il va gérer. Je monte lentement au pic spectaculaire, il se détache solitaire, l'ambiance y est parfaitement lunaire des milliers de petites fleurs violettes poussent sur cet l'eboulis anthracite, l'ombre d'un aigle glisse sur son flanc et parachève la magie. Je descends alerte et de nouveau rapide sur le refuge Claror, remontée sur Collada Maiana, descente euphorique, le balisage jusque là parfait s'eclaircit mais je veux avancer avant la nuit...


 

Je commence à égrener mon chapelet de fanatique, plus quesix pics à franchir. Je dévale de Claror et dévore le premier et plus facile en un rien Collada Maiana, je replonge et remonte de manière plus syncopé le second, je perds quelques places en atteignant la base proche du Coll Vallcivera. Elle est ouverte au quatre vents mais la soupe est chaude, je ne traîne pas. Dans la descente mon cerveau commence à cesser de filtrer le danger je suis de plus en plus désinhibé, il me faudra le payer dans la remontée sur le Coll Isards je suis scotché, des passages droits dans les pentes herbeuses, les pieds qui glissent dans des zones calcaires poudreuses une relance une arête interminable entrecoupée de névés, le tout largement débalisé par une volonté malveillante (je l'apprendrai plus tard) pompent dans mon mental, m'oblige à beaucoup trop d'attention. Le crépuscule s'impose, je commence une descente ultra technique entre des blocs imposants, des cours d'eau, de la neige bloquée entre. Ca se calme on voit au fond Pas de la Casa la deuxième base vie (km 130). Je suis bluffé d'avoir réussi mon pari sur la montre! Deux stratégies se battent en duel repartir marqué maison ou dormir trente minute et repartir geler. Option 2 c'était la bonne dans un duvet ultra couvert je bous mais m'endors profondément ce qui me permet de réguler de nouveau ma température. En repartant j'emboîte le pas de deux Vosgiens d'allure avenante mais finalement rustres (c'est un peu le point faible de ce milieu). J'en profite pour me laisser guider, on longe un torrent puissant son haleine glacée traverse ma carcasse obstinée, mais ce soir je serai invincible. 800 m de montée direction le Pas de la Vasques, c'est raide, l'eau la boue est partout, mes goretex sont mises à rude épreuve, je ne tiens le rythme de personne et décroche complètement. La neige, les montées droit dans la pente et ces balises leds nocturnes si hautes qui clignotent au milieu des étoiles pour nous indiquer la seule issue possible tout en nous laissant apprécier notre petitesse. Tout un symbole et un idéal poétique à garder à l'esprit. L'éperon final enneigé est dangereusement raide, je passe sur le flanc du rocher qui le borde sur pointes métal et petites prises de pieds. Le vent glacial me dévaste. Ne pas réfléchir, courir ma desinhibition est totale, mes jambes font tout, mon cerveau se contente d'observer calme, parfois il critique un peu: "non là vraiment c'était un peu osé", parfois il m'impose des défis "traverser à gué toute cette rivière sans hésitation et sans réfléchir". Ce dédoublement va se renforcer jusqu'à sérieusement m'inquiéter vers la fin. Bilan, des risques fous mais fluides et je rattrape jusqu'au dernier des membres de l'échappée nocturne du Pas de la Vasque pour rejoindre la base d'Inclès, tentative de communication webcam avec Carole les hurlements des enfants en bruit de fond c'est énorme comme c'est bon! Ne pas trop s'appesantir tout de même je repars tout doucement vers les 900 m de la fulgurante montée vers Cresta Cabana Sorda. Je ne suis plus bon à grand chose, j'avance sous l'hypnose des balises et la guirlande tenue de cette cordée de frontale tremblante qui vise une nouvelle étoile. C'est interminable on monte en spirale sur le massif, la fin dans l'herbe est raide comme.jamais. On pointe en haut, une petite bande de pote nous y attendent: tente, chiens de montagne, pinards, soupe épaisse bonne humeur. Pourquoi je n'en profite pas comme ça ? Un mystère que je ne résoudrai pas ce soir je pense. Ma descente sur Coms de Juan deviens hachée, tâtonnante. Je bloque au près de l'immense feu, le jour se lève le dernier plus rien ne fonctionne, mes genoux, mes lombaires, mon corps refuse tout. Je me pose plusieurs fois sur des rochers et je décide de regarder le soleil monter et enflammer peu à peu le cirque de mon décor. Je ne me lasserai jamais de ces moments...Collada Meners dernier point haut c'est incroyable. J'admire le paysage à côté du jeune catalan de 24ans Manu, il est tatoué rigolard et à peine marqué, respect. Je m'enflamme sur les 16km et 1700m de descente, le dédoublement se marque de plus en plus, je me parle pour être certain de ne pas rêver, tout est si irréel et bizarre, les parties de mon corps semblent essayer de me parler et de vivre une existence autonome.


Bref je pète les plombs, il est temps.que ça finisse. De nouveau la chaleur, la ville, le regard admiratif, les félicitations les "animo" chaleureux espagnol, l'arche je n'y crois pas. J'appelle Carole, les enfants, j'explose en larmes, la ronda del cims c'est terminé!

3 commentaires

Commentaire de randoaski posté le 26-09-2018 à 21:36:05

Trop bon... Je crois que je suis un des deux vosgiens... Si c'est le cas, j'étais tellement en délicatesse avec mes pieds, et mon pote qui dormait debout...
D'ailleurs j'y suis retournée en 2017 pour la vivre bien cette course splendide: cette fois là, je m'y suis vraiment régalé.
Encore merci pour ce récit et l'envie que tu me donnes d'y retourner :)

Commentaire de randoaski posté le 26-09-2018 à 21:46:24

Trop bon... Je crois que je suis un des deux vosgiens... Si c'est le cas, j'étais tellement en délicatesse avec mes pieds, et mon pote qui dormait debout...
D'ailleurs j'y suis retournée en 2017 pour la vivre bien cette course splendide: cette fois là, je m'y suis vraiment régalé.
Encore merci pour ce récit et l'envie que tu me donnes d'y retourner :)

Commentaire de Thibaud GUEYFFIER posté le 27-09-2018 à 18:00:28

Incroyable, bravo d'avoir trouvé la force d'y revenir! A refaire c'est une de celle que je redouterai le plus...Quand je pense qu'elle ne rapporte pas un point pour l'UTMB c'est plutôt ironique.
En attendant merci pour ta lecture et j'espère qu'on se recroivsera dans un état moins avancé ;)


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